mardi 1 octobre 2024

Coopétition dans le rail : une voie possible pour faire face à l’ouverture à la concurrence ?

Dans le cadre de l'application du "pacte ferroviaire" adopté en juin 2018, le rail s'est ouvert à la concurrence fin 2020 pour les voyageurs, mettant fin au monopole de la SNCF sur les lignes à grande vitesse et sur les trajets subventionnés des trains régionaux ou des Intercités.

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De nouveaux acteurs peuvent désormais proposer leurs services à des tarifs qu'ils définissent, en concurrence avec l'opérateur historique (SNCF) dans le cadre notamment des services librement organisés (SLO). 
Le parcours pour ces nouveaux entrants est cependant semé d'obstacles, comme peuvent en témoigner l’annonce des échecs de Railcoop et Midnight Train.

La coopétition, qui implique une dynamique mêlant concurrence et coopération entre entreprises, déjà éprouvée dans le secteur aérien et dans d'autres secteurs, pourrait-elle inspirer le secteur ferroviaire et concrétiser l’ouverture à la concurrence sur ces lignes en France ?

Dans cet article, nous allons analyser les difficultés rencontrées par les nouveaux opérateurs ferroviaires et évaluer si la coopétition pourrait offrir de nouvelles opportunités pour les nouveaux entrants.

Rappel sur le fonctionnement d'un service librement organisé (SLO)…

Dans les services librement organisés, connu également sous le modèle de l'Open Access, par opposition au modèle conventionné, les opérateurs ferroviaires acquièrent leur propre matériel et personnel et achètent des créneaux horaires auprès du gestionnaire d'infrastructure, en l’occurrence SNCF Réseau. Ils tirent leurs revenus des recettes commerciales payées par les voyageurs. Ce modèle est cependant réglementé et interdit la concurrence avec les services conventionnés. Par exemple, un opérateur ne pourra pas opérer sur la ligne Clermont-Lyon, qui est un TER conventionné par la région Auvergne-Rhône-Alpes.   

Un réseau français qui suscite des convoitises... Mais semé d’embûches...

Le réseau ferroviaire français, l'un des plus vastes d'Europe avec 28.000 KM de voies ferrées et 2.600 KM de lignes à grande vitesse, attire de nombreux opérateurs grâce à une combinaison de facteurs économiques, environnementaux et une demande de plus en plus croissante pour des transports durables. L’arrivée annoncée du nouvel opérateur PROXIMA sur le marché témoigne de l’attractivité du réseau français.

Nous observons néanmoins que la mise en œuvre des projets est complexe, avec des reports d'ouverture de lignes, des abandons voire des faillites. L'opérateur Trenitalia a débuté ses opérations, mais la concurrence reste à ce jour timide tandis que RENFE, se limite pour l’instant à deux liaisons transfrontalières.

Trois raisons peuvent expliquer cette situation :

  • Un investissement initial conséquent, avec des coûts d’acquisition du matériel roulant assez élevés en l’absence d’un marché secondaire. De plus, l'interopérabilité du matériel est également un frein, certains trains étant restreints qu’à certaines lignes au sein du même réseau national.
  • Un coût d'accès à l'infrastructure ferroviaire élevé, malgré les facilités accordées aux nouveaux venus durant les premières années.  
  • La présence dominante de l'opérateur historique, qui a diversifié ses offres sur plusieurs segments de marché, réduisant ainsi la marge de manœuvre pour les nouveaux concurrents.

A ces éléments, on peut également rajouter la vulnérabilité des nouveaux entrants qui les rend moins résilients face aux perturbations, comme l’offensive de Trenitalia ralentie par l’éboulement dans la vallée de la Maurienne, interdisant la circulation avec l’Italie.

Face à ces obstacles, il est clair que le chemin de l'ouverture à la concurrence de l'Open Access est semé d'embûches. Les acteurs du secteur doivent faire preuve d'ingéniosité pour naviguer dans ce paysage complexe.

La coopétition comme stratégie pour faire de l'ouverture à la concurrence une réalité tangible.

Dans le contexte actuel du marché de l'Open Access, la création d'alliances stratégiques pourrait servir de catalyseur pour renforcer et accélérer la dynamique concurrentielle. La coopétition pourrait ainsi être une stratégie efficace.

Cette forme de partenariat se fait généralement dans des domaines et secteurs où les acteurs ne possèdent pas d'avantage concurrentiel et où la coopétition est perçue comme une opportunité de réduire les coûts. Cette approche stratégique permet de développer plus facilement de nouveaux produits et d'accéder à de nouveaux marchés.

Prenons l'exemple du secteur aérien, où le partage de codes est une pratique courante. Les compagnies aériennes s'associent pour offrir des vols en commun sur certaines routes. Les compagnies qui n'opèrent pas le vol ont la possibilité de vendre des sièges de la compagnie partenaire à leurs clients. Cette stratégie permet aux compagnies d'élargir leur réseau sans investir massivement en ressources et permet à l'opérateur du vol de bénéficier d'un meilleur taux d'occupation.
Un autre exemple est celui de l'alliance entre Renault, Nissan et Mitsubishi, qui bien que confrontée à des difficultés ces dernières années, fut un succès. Elle s'est basée sur un partage de technologies et de ressources pour réduire les coûts et innover. Bien que les entreprises coopéraient dans des domaines tels que la production, la R&D et l'expansion sur de nouveaux marchés, elles ont maintenu leur compétitivité individuelle avec des marques et des stratégies de marché distinctes.

Cette capacité à allier coopération et compétition a permis de renforcer leur position sur le marché tout en favorisant l'innovation.

Dans le contexte du secteur ferroviaire en France, une stratégie similaire entre nouveaux entrants pourrait être bénéfique pour renforcer la concurrence. La rentabilité pour ces acteurs va dépendre significativement de la massification de leur offre, ce qui passe par une augmentation de la fréquence des trajets proposés afin de gagner des parts de marché.

Sur la ligne Paris-Lyon, la plus fréquentée et la plus rentable du réseau Français, l'opérateur historique propose en moyenne trente aller-retours par jour, variant selon les périodes de l'année et les jours de la semaine.

Pour concurrencer sérieusement sur cette ligne, il est nécessaire d’atteindre un seuil minimal d'aller-retour, un défi de taille pour les nouveaux opérateurs en raison des barrières à l'entrée évoquées précédemment. A ce jour, Trenitalia, le principal concurrent de la SNCF sur cette ligne opère cinq aller-retours par jour sur des sillons certes rentables (pointe du matin et du soir), mais cela reste insuffisant pour dégrader de manière significative la part de marché de l’opérateur historique.
La coopétition pourrait ainsi permettre aux nouveaux acteurs de s'établir véritablement, accélérer leur intégration tout en minimisant leurs investissements.

Cette stratégie pourrait particulièrement intéresser les compagnies nationales qui ont accumulé une grande expérience sur leur marché d'origine et qui disposent des ressources financières nécessaires pour réaliser les importants investissements requis par le secteur.

Une telle stratégie, envisageable sur une ou plusieurs lignes, n'empêcherait pas par exemple aux opérateurs de se concurrencer sur d'autres lignes ou marchés, notamment dans le secteur conventionné du transport ferroviaire de voyageurs. C'est là tout le principe de la coopétition.

En définitive, l’ouverture à la concurrence dans le secteur ferroviaire attire l'intérêt de nombreux opérateurs. Cependant, dans un secteur fortement capitalistique, le chemin est parsemé de défis. Il est donc essentiel pour les nouveaux candidats sur le marché ferroviaire d’étudier toutes les stratégies possibles. La coopétition pourrait ainsi être une solution, mais sa mise en œuvre, au regard de la dynamique actuelle du marché, ne serait envisageable qu’à moyen-long terme.

Rendez-vous dans quelques années !

Sources :

http://concurrence-ferroviaire.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2022/02/0506-21_ART_RAPPORT-CONCURRENCE_WEB_HD.pdf

http://concurrence-ferroviaire.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2022/02/09022022_ANNEXES_Etude_concurrence_2022.pdf

https://www.sncf-connect.com/